A l'occasion de la pres junket américaine de Personal Shopper, Olivier Assayas parle de Kristen, de leur collaboration, de l'intrigue du projet, du tournage, du surnaturel et de la communication et du métier de réalisateur dans une interview avec Criterion.
Fantômes quotidiens : Assayas à propos de Personal Shopper
Au cours d'une carrière de trois décennies qui va de la rêverie autobiographique de la rébellion de la jeunesse (Cold Water) à un délire néo sombre (Demonlover), en passant par une saga criminelle historique (Carlos), le réalisateur français Olivier Assayas a canalisé son don pour l'élaboration d'une étude de personnage intime à travers un éventail impressionnant de genres. Son plaisir de jongler avec différents styles, qui reflète la période qu'il a passé dans sa vingtaine d'années à explorer ses obsessions cinéphiles comme critique à la [revue] Cahiers du Cinéma, s'étend à son dernier long métrage récompensé à Cannes, Personal Shopper, un thriller surnaturel qui raconte l'histoire d'une jeune acheteuse de mode américaine à Paris qui cherche à entrer en contact avec l'au-delà après le décès de son frère jumeau. Mettant en vedette Kristen Stewart, dont la performance dans Clouds Of Sils Maria d'Assayas a fait d'elle la première actrice américaine à remporte un César, ce portrait mélancolique de la perte combine l'acuité psychologique du réalisateur avec les frissons effrayants d'une histoire de fantômes.
Avec Personal Shopper maintenant en salles, nous partageons une conversation que nous avons eue avec Assayas lors de la sa visite dans les bureaux Criterion en octobre dernier, peu de temps avant l'avant première du film au Festival du Film de New York.
Journaliste : Voir Personal Shopper et Irma Vep (1994), dans une étroite succession au Festival International du Film de Toronto, m'a fait comprendre à quel point nous sommes conscients de votre travail antérieur en créant quelque chose de nouveau.
Olivier Assayas : Je suis vraiment intéressé par ce dialogue entre mes films. C'est important pour moi d'avoir une idée de la manière dont mes films font écho l'un à l'autre. J'ai eu la chance d'écrire tous mes films et plus ou moins de faire des films avec la même liberté pour un romancier qui écrit ses romans. Chaque film pris seul que j'ai fait est comme une partie de ce film, qui comprend le présent, le passé, le futur – cartographiant le monde à sa manière. Ce qui m'excite quand je fais un film, c'est qu'il couvre une chose que je n'ai pas couvert auparavant. C'est une partie de la même énergie, mais j'ai déplacé la scène ailleurs.
Journaliste : Comment avez-vous abordé les éléments surnaturels dans Personal Shopper ?
Olivier Assayas : Je voulais prendre le sujet au sérieux. Je ne voulais pas en faire un élément de genre ou quelque chose d'étrange ou de farfelu. Je voulais le ressentir comme une partie de la vie quotidienne, pour mettre le film dans un monde dans lequel les gens croient en l'existence de fantômes, où personne ne le questionne. Et pour beaucoup de gens, cela n'est pas une chose étrange. Nous avons tous nos fantômes ; cela n'est pas une question de croyance. Nous vivons avec nos propres fantômes et nous vivons avec notre imagination, nos craintes et nos angoisses et ce que nous appelons les fantômes sont un mélange de ceux qui ne sont plus parmi nous et la façon dont ils se connectent avec notre propre monde intérieur.
Pour moi, les 'fantômes' sont un mot code. Nous savons qu'il y a beaucoup plus de réalité que ce est effectivement visible, et cela est prouvé par la science – cela n'est pas une sorte de fantasme étrange. Nous avons donc certainement des relations avec des forces que nous ne comprenons pas complètement.
Journaliste : A bien des égards, le film est un compagnon de Clouds Of Sils Maria. En quoi vos expériences sur les deux films ont-elles été différentes ?
Olivier Assayas : C'est un peu différent dans le sens où Clouds Of Sils Maria est une sorte de comédie, une comédie sur le vieillissement. Je ne pense qu'il s'agisse d'un film plus léger que Personal Shopper, mais c'est différent parce qu'il s'agit d'un film sur la dynamique entre deux personnages. Je pense que Personal Shopper est comme une continuation du courant plus sombre dans Clouds Of Sils Maria. Lorsque j'étais en train de faire Clouds Of Sils Maria et lorsque j'étais en train de faire un film comme Irma Vep, j'étais assez conscient des forces invisibles qui conduisaient les personnages, même si dans les films, ils sont sous la surface. Je pense que j'avais besoin à un moment donné de faire un film où j'ai externalisé le processus interne. Étrangement, Personal Shopper est un film beaucoup plus simple que d'autres films que j'ai fait, mais à bien des égards, c'est également un film qui touche quelque chose de très personnel et qui représente aussi la manière dont je fonctionne en tant que réalisateur et en tant que personne.
Journaliste : Kristen Stewart est fantastique dans le film et la majorité de son élan est dicté par sa physicalité – ce qui est remarquable, étant donné que la majorité de l'action se produit sur un écran de téléphone.
Olivier Assayas : Je savais que je pouvais faire confiance à Kristen. Il était si difficile de trouver le bon équilibre et de le structurer. Il s'agit d'un film dans lequel chaque nuance unique résonne dans le film entier d'une façon à laquelle je ne m'attendais pas. Je n'ai pas non plus réalisé la complexité de ce que je demandais à Kristen de faire. Je pense qu'elle était peut être plus au courant que moi, parce que lorsque vous êtes une actrice et que vous lisez une scène, vous la visualisez ou l'incarnez dans le processus de préparation. Mais lorsque vous écrivez, vous avez une autre perspective et vous ne découvrez pas les aspects pratiques de celle-ci jusqu'à ce vous travaillez et tourniez. Kristen a cette façon unique d'habiter l'écran, d'utiliser son corps dans la prise. Elle a cette façon extraordinaire de se fendre dans les prises comme une danseuse, même si cela ne ressemble pas à la danse.
Journaliste : Pouvez-vous parler de votre approche de la technologie comme moyen de narration dans le film ?
Olivier Assayas : J'utilise mon téléphone comme tout le monde. C'est une extension de notre mémoire, de notre imagination. J'ai fait plusieurs films qui ressemblaient à des films d'époque – même un film comme Clouds Of Sils Maria est dans son propre fuseau horaire – mais ce film a été l'occasion d'aborder des personnages modernes dans le monde moderne. Regarder des choses sur Internet lorsque vous faites autre chose – il s'agit tellement d'une partie de notre façon de fonctionner. Cela fait partie de notre monde d'une manière qui devient de plus en plus étrange ; il s'agit d'une visualisation de notre processus de réflexion. A partir du moment où j'ai commencé à faire ce film sur quelqu'un qui est seul, quelqu'un qui est solitaire et qui est en train de se reconstruire, cette reconstruction faisait partie de son dialogue intérieur et une partie de son dialogue intérieur est externalisée sur Internet et dans des images sur son téléphone.
Journaliste : A quoi ressemblaient vos premières expériences de visionnage de film ?
Olivier Assayas : J'ai grandi à la campagne et j'ai regardé des films à la télévision. Une grande partie de mon éducation dans le cinéma classique est venue de choses que j'ai vu sur un petit écran en noir et blanc. J'aurais aimé aller dans les cinémas parisiens de banlieue et regarder des films grand public. Je me souviens de tous les enfants de ma génération découvrant des films Cinerama comme Ben Hur. Je pense que mon premier souvenir de cinéma doit être d'avoir vu Ben Hur lorsque j'avais environ 6 ans ; c'était très impressionnant et c'était à une échelle tellement gigantesque. Lorsque j'étais adolescent, je pouvais raconter plus sérieusement ce que j'aimais sincèrement au cinéma et ce qui m'attirait vraiment. Cela avait à voir avec les films américains indépendants des années 70 qui étaient liés à la contre culture, beaucoup de choses post Easy Rider. Ils avaient un sentiment de liberté. Lorsque j'étais adolescent, l'énergie de la nouvelle vague française était déjà passée. Quand je grandissais dans les années 70, c'était un monde différent et ce qui captait ces temps était ce genre de cinéma indépendant cool, branché, semi expérimental.
Journaliste : Vus êtes passé de l'écriture à propos des films en tant que critique [pour la revue] Cahiers du cinéma à leur réalisation. Est-ce que cela a toujours été votre but ?
Olivier Assayas : Écrire sur les films était un accident. J'ai toujours voulu faire des films. Je ne suis pas allée dans une école de cinéma ; j'ai étudié la littérature française et la peinture, mais j'ai découvert le cinéma par moi-même. J'ai commencé à faire des courts métrages et j'ai commencé à penser qu'il y avait quelque chose qui n'était pas complètement mature sur ma compréhension du cinéma. Donc, l'opportunité d'écrire sur les films m'a forcé à réfléchir sur le cinéma et à en apprendre d'une manière plus profonde que je ne l'avais fait auparavant. En ce sens, je suis un peu autodidacte lorsqu'il s'agit de la théorie et de l'histoire.
Journaliste : De quelle manière abordez-vous le cinéma par rapport aux autres arts ?
Olivier Assayas : Mon cinéma est généré par ma relation avec d'autres arts. La raison pour laquelle j'ai choisi le cinéma, par opposition à la peinture, qui aurait pu être une option, c'est la façon dont elle enregistre l'émotion humaine et sa nature collective, ce qui est extrêmement important pour moi. En outre, l'aspect documentaire du cinéma, quelle que soit l'histoire que vous racontez, cela doit être une sorte de réalité devant vos propres yeux.
Journaliste : Avez-vois une partie préférée dans le processus de fabrication cinématographique ?
Olivier Assayas : Ma partie préférée doit être le montage parce qu'il a les qualités essentielles de l'écriture, mais sans les doutes ou le sens d'être en dehors du viseur. Lorsque vous arrivez dans la salle de montage, c'est fait, c'est fini, vous avez tout votre matériel et vous pouvez écrire lui. J'adore simplement cela. Et peu à peu, le film prend forme comme une peinture devant vos yeux, mais vous n'avez pas la pression de finir à temps ou d'avoir la prise ou de perdre la lumière ou l'équipe qui fait la grève.
Journaliste : Quel a été le dernier film que vous avez vu et que vous avez adoré ?
Olivier Assayas : Un film récent que j'aime vraiment est Toni Erdmann. J'ai toujours le travail de Maren Ade. J'ai vu son précédent film, que j'ai adoré, mais je pense que Toni Erdmann est sur une autre dimension. De temps en temps, quelque chose arrive qui a cette force et cette originalité et c'est audacieux. C'est ce qui maintient le côté passionnant dans les films.
Journaliste : J'ai lu que vous avez travaillé sur un nouveau film avec Roman Polanski. A quoi cela ressemble de collaborer avec un autre cinéaste de cette façon ?
Olivier Assayas : J'ai pensé que cela serait difficile, mais en fait c'était vraiment très agréable. J'ai vraiment aimé le processus. Je ne travaille jamais avec le co scénaristes ; je n'aime pas la dynamique de celle-ci. Mais ici, avec Polanski, c'était tout à fait logique. Il avait une idée très claire de ce qu'il voulait et il est à l'écoute. C'est sa façon de travailler, donc il est familier avec le processus et c'était très simple, évident et agréable pour moi. Je ne pense pas que je le ferais à nouveau prochainement, mais cette fois-ci j'ai adoré.
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