mardi 14 mars 2017

Personal Shopper : Interview d'Olivier Assayas avec Dazed

A l'occasion de la press junket américaine de Personal Shopper, Olivier évoque Kristen, leur collaboration, l'évolution du projet, le tournage ou l'intrigue du film dans une interview avec Dazed. 


Journaliste : Est-ce vrai que vous avez écrit Irma Vep en neuf jours et vous l'avez tourné en quatre semaines ?
Olivier Assayas : Oui.

Journaliste : Avez-vous toujours ce genre de spontanéité ?
Olivier Assayas : J'écris toujours avec spontanéité, mais le problème est que, parce que je suis reconnu, mes films sont plus faciles à financer à grande échelle. Lorsque je faisais Irma Vep, c'était j'avais un film plus important qui ne se faisait pas. Nous avons tourné Irma Vep en quatre semaines sans argent parce que, eh bien … [Rires] … Nous n'avions pas d'argent. Personne n'était prêt à mettre de l'argent dans ce film. C'était trop bizarre. Les gens riaient à notre visage. C'était différent de tout ce qui avait été fait dans le cinéma français.
Même avec Demonlover quelques années plus tard, je l'ai écrit comme un film expérimental, et tout d'un coup, nous avons collecté plus de financement que n'importe lequel de mes autres films. Tout d'un coup, ce petit film expérimental est devenu quelque chose de plus grand et de différent.

Journaliste : Etait-ce la même chose avec l'écriture de Personal Shopper ?
Olivier Assayas : Je pense que j'ai continué à écrire mes films à la façon Irma Vep. J'ai écrit Personal Shopper vraiment rapidement. Pas en neuf jours. Peut être en deux mois, peut être un peu plus. Mais c'était rapide. J'ai réussi à le faire avec la même énergie. Nous sommes passés de l'écriture à la préparation du tournage avec un très petit laps de temps.

Journaliste : L'avez-vous écrit à l'époque de Clouds Of Sils Maria et c'est pour cette raison qu'il est revenu à Kristen ?
Olivier Assayas : En fin de compte, oui, mais je ne l'ai pas comme cela à l'époque. Après Clouds Of Sils Maria, j'ai eu un autre projet qui était censé se tourner presque à la suite.

Journaliste : C'était le film de Robert Pattinson ?
Olivier Assayas : Ouais, Idol's Eye. Et le film s'est effondré à la dernière minute – 24 heures avant le tournage, ce qui était un cauchemar. Je suis donc revenu à Paris et j'ai commencé à travailler sur autre chose en partant de zéro. Ce qui signifiait utiliser l'énergie de Clouds Of Sils Maria. Je n'écrivais pas spécifiquement pour Kristen à l'époque. J'écrivais pour quelqu'un comme Kristen. Je n'avais aucune idée si elle voudrait faire un autre film avec moi tout de suite. Je n'avais aucune idée si elle était disponible. Je ne savais pas si elle serait intéressée par ce genre de film. Mais ensuite, en regardant en arrière, je ne pense pas que j'aurais écrit un personnage comme Maureen si je n'avais pas eu l'expérience de travailler avec Kristen. Elle a inspiré ce personnage.

Journaliste : Kristen a dit récemment qu'elle n'est pas une actrice de personnage.
Olivier Assayas : Non, elle ne l'est pas.

Journaliste : Pourriez-vous nous en dire plus et ce qui la rend unique en tant qu’interprète ?
Olivier Assayas : Kristen est incroyablement authentique. Elle doit trouver la vérité du personnage elle-même. Elle a du mal à jouer avec quelqu'un qui est trop éloigné d'elle. Elle a besoin d'avoir un sens de la vérité vis à vis de ce qu'elle fait et la façon dont elle dit des choses et la façon dont elle interagit avec les autres personnages. C'est quelque chose qui ne peut venir que de l'intérieur.
Ce qui est unique à son sujet, c'est qu'elle est une actrice complètement intuitive. Elle est tellement à l'écoute de l'ambiance du moment. Elle aime faire une chose une fois. Lorsqu'elle commence à faire quelque chose pour la deuxième ou la troisième fois, elle devient instable. C'est vraiment comme un flash. Elle a également une façon très unique d'interagir avec la caméra. Elle a une façon d'utiliser son corps – sa stimulation est unique et son langage corporel est extraordinaire.

Journaliste : Il y a une interprétation de la part des doigts très accomplie pendant les séquences de textos, la façon dont ils tremblent de peur. Ces pouces étaient-ils ceux de Kristen ?
Olivier Assayas : Ouais, c'était. Elle a dit, 'Mes pouces sont les partenaires de ce film'.

Journaliste : Pourquoi ajoute t-elle toujours un espace avant chaque point d'interrogation ?
Olivier Assayas : Je ne lui ai pas demandé. C'est la façon dont elle tape. C'est la façon dont vous le faites en français. Donc je suppose que c'est la culture française qui a déteint.

Journaliste : Beaucoup de réalisateurs se plaignent que la commodité des téléphones portables ruine les intrigues, mais Personal Shopper les utilise pour créer une nouvelle dimension dramatique.
Olivier Assayas : Je ne sais pas pourquoi ils ne faciliteraient pas la narration. Ils font partie de la vraie vie. Vous ne pouvez pas faire des films qui sont détachés de la vraie vie. Peut être est-ce inquiétant pour un réalisateur plus âgé qui est attaché à une vision du monde plus ancienne. Oui, l'utilisation des téléphones portables a déformé cette vision du monde. Mais ils font néanmoins partie de notre vie. C'est comme dire que c'était plus excitant lorsqu'il y avait des calèches, par opposition aux voitures. C'est la façon dont le monde change. Les téléphones portables ne simplifient pas le monde. Ils le compliquent. Si vous les gérez, vous traitez avec ce réseau qui ne nous entourait pas auparavant.

Journaliste : Est-ce pour cela que vous oscillez entre les films d'époque et les films modernes ? Dans Clouds Of Sils Maria, il y a aussi énormément d'anxiété vis à vis de la technologie.
Olivier Assayas : Ouais. Après avoir fait deux films d'époque – sous entendu Carlos et Something In The Air – j'avais besoin de retourner dans le monde moderne. Mais Clouds Of Sils Maria était à mi-chemin. C'est dans cette chaîne de temps abstraite. Alors que Personal Shopper se site aujourd'hui et qu'il est défini par les outils que nous utilisons pour communiquer et travailler. Ils sont une extension de nous-mêmes et cela définit les personnages modernes.

Journaliste : Pourquoi Personal Shopper se déroule t-il dans le monde de la mode ?
Olivier Assayas : Pour deux raisons – et ce sont des raisons contradictoires. L'une des raisons est que je voulais que Maureen ait … Pas exactement un travail stupide, mais un travail très banal ; un travail frustrant qui ait un rapport avec la surface. Le monde de la mode a un rapport avec la surface et cela n'est même pas sa surface ; c'est la surface de sa patronne. Elle n'aime pas son boulot, mais elle a besoin de le faire pour gagner sa vie. Elle trouve le réconfort et le confort dans son propre monde rêvé, dans son imagination, dans ses idées et dans son art – comme nous le faisons tous.
Mais ce qui la rend ambivalente, c'est qu'il y a également de l'art dans l'industrie de la mode. Elle l'attire, comme un aimant, parce qu'elle fait aussi partie de sa propre conversation intérieure ; elle questionne sa féminité et sa féminité est liée à son attrait pour la mode.

Journaliste : Dans les crédits, vous remerciez Thomas Bangalter de Daft Punk. Quel rôle a t-il joué dans le film ?
Olivier Assayas : Thomas est un ami. À un moment donné, je lui ai demandé de faire la bande originale du film. Nous avons eu de longues discussions à propos du film. Il a été l'un des premiers spectateurs de la toute première version et il a fait quelques suggestions que j'ai utilisé.

Journaliste : Oh vraiment ? En dehors de Sonic Youth dans Demonlover, vous n'avez pas utilisé de bande originale depuis le début des années 90. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis avec Personal Shopper ?
Olivier Assayas : Pour des mauvaises raisons. La chose c'est, j'aime le travail que Thomas a fait avec Gaspar Noé. Les bandes originales de films qu'il a faites sont vraiment brillantes et c'est un type très intelligent, talentueux. Et parce qu'il doit y avoir des éléments du genre, j'ai pensé que ce serait intéressant d'avoir au moins un dialogue avec lui à ce sujet. Je lui ai montré le film et j'étais assez sûr de mes choix musicaux. Il était d'accord avec moi. Il a aimé ce que nous faisions.

Journaliste : Vous avez mentionné 'la légèreté de la caméra' comme quelque chose d'important que vous avez découvert dans Cold Water. Pouvez-vous expliquez cette philosophie en ce qui concerne Personal Shopper ?
Olivier Assayas : Avec la 'légèreté de la caméra', c'est la 'légèreté' en général, je dirais. Ce avec quoi j'ai toujours lutté, c'est le poids du cinéma. Le cinéma compte trop de gens et trop d'équipements lourds. Idéalement, le cinéma devrait être fa it dans des conditions aussi légères que lorsque les peintres impressionnistes peignaient à l'extérieur.
Vous devez oublier le poids du cinéma. Chaque fois que je le peux, je veux le moins de personnes possibles sur le plateau du tournage. J'ai besoin d'avoir un sens de la liberté. Je n'aime pas répéter. J'aime entrer directement dans une scène et dans l'action de création d'une prise. C'est pour moi mais aussi pour les acteurs. C'est de cette manière qu'ils se concentrent. S'ils ressentent le poids du cinéma, ils ont une approche différente de l'action.

Journaliste : De quelle manière Kristen réagit-elle à la légèreté ?
Olivier Assayas : Je pense que cela a créé un nouvel espace pour elle. Je pense qu'elle a adoré cela et c'est la raison pour laquelle nous avons travaillé ensemble. Elle a réalisé, lorsque nous tournions Clouds Of Sils Maria, que cela lui ouvrait un nouvel espace. La raison pour laquelle elle était impatiente de travailler de nouveau avec moi était qu'elle savait qu'elle pourrait aller encore plus loin dans le processus. C'est complètement différent de ce qu'elle a fait aux Etats Unis. Certains acteurs ont besoin du cadre, mais d'autres acteurs sont créatifs et ils ont besoin d'espace pour se développer. Et elle a été en expansion.


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