mercredi 17 septembre 2014
Photos du magazine Obsession désormais en version photo
Scans numériques
France, numéro de septembre 2014
Une tornade fend l'air. Une tornade qui ressemble à une petite meuf de 24 ans en robe Chanel blanche. Derrière elle, trois attachées de presse veillent à ce que Kristen Stewart ne manque de rien, qu'elle ait son café latte à temps, qu'elle trouve son chemin pour exécuter cinq interviews de quinze minutes minutieusement calées deux jours avant. Elle est arrivée la veille à Cannes en jet privé. Seul solution pour s'extirper trente-six heures du tournage à la Nouvelle-Orléans d'un film d'action, American Ultra, qui lui laisse les genoux et les coudes en sang. Des éraflures qu'elle exhibe avec fierté: "Maintenant, personne ne pourra plus écrire que je ne travaille pas dur!"
Kristen Stewart n'a pas de temps à perdre. Cela fait six ans, depuis la sortie en 2008 du premier Twilight, qu'elle court plus vite que ne tourne la planète, ne s'arrête que pour mimer une scène à grands gestes avant de se lancer dans une réponse qui ira jusqu'au bout de son raisonnement. Car, quand elle parle, Kristen Stewart se fraie un chemin à la machette parmi ses doutes. "J'ai aimé Sils Maria. J'ai aimé faire ce film et j'ai aimé le voir. Tu sais pourquoi? J'aime les films sur le cinéma. Peut-être parce que je ne sais pas comment font les autres. Certains savent. Moi, je ne sais pas. Je ne sais même pas si je regarde ça comme une actrice qui se regarderait dans le miroir. Je sais juste que j'aime la façon dont Olivier Assayas et Juliette Binoche appuient sur notre nature profondément ridicule à nous, les actrices. Ça m'a amusée, beaucoup. Ça m'a amusée avec force."
Il faut une assurance de malade pour envisager le plus bergmanien des films d'Assayas sous l'angle de la farce trempée de férocité. Mais c'est son coup de génie matinal, le début d'un quart d'heure chrono de corrida dialectique d'une fille qui prend toujours la question par son angle le plus inattendu, histoire de garder un coup d'avance. Ce matin, son ironie est princière. "Je ne veux pas dire que ce n'est pas.. important, ce métier. Mais je ne crois pas non plus que ce soit si important, ce métier. Mais détrompe-toi: je suis très contente d'être montée dans cette voiture. Je pourrais presque... mourir pour ça."
Leçon une: se donner tout entière au cinéma n'empêche pas d'en rire. Cela s'appelle zigzaguer. Et Sils Maria, film tout entier en accord avec l'intelligence de ses actrices, film qui refuse de les enfermer dans des images pieuses ou crétines, ne fait pas autre chose que d'arpenter ce zigzag-là. Dans ce long-métrage présenté à Cannes, Kristen Stewart est Valentine, l'assistante de Maria Enders, une grande actrice incarnée par Juliette Binoche, qui se retrouve à Sils Maria, haut lieu nietzschéen (c'est ici que le philosophe a eu l'illumination de l’Éternel retour) pour répéter une pièce de Wilhelm Melchior qu'elle a jouée vingt ans auparavant. Mais le temps a passé et elle doit accepter d'endosser cette fois le rôle de la femme mûre. Valentine, du haut de ses 25 ans, lui sert de répétitrice et occupe la place qui était celle de Maria autrefois. Bien entendu, Maloja Snake, la pièce de Melchior, ne parle elle aussi que de cela: l'irrépressible rivalité entre la jeunesse cruelle et la vieillesse ennemie.
Ce jeu de miroir entre la vie et l'art prendra une épaisseur supplémentaire lorsque Maria apprendra que le rôle de la jeune fille a finalement été confié à une actrice venue des films de science-fiction (Chloë Grace Moretz, l'actrice de Kick-Ass), une fille surtout connue pour ses boyfriends enchaînés, son taux d'alcoolémie au volant et ses interviews erratiques. Soit l'idée médiatique, donc toute faite, que l'on se fait de Kristen Stewart. "Cela me rendait nerveuse, l'idée que l'on fasse la comparaison entre Chloë et moi. Dans le film, elle n'est pas moi. En revanche, oui, je m'adresse directement à elle. Je la regarde avec tout mon savoir de célébrité. Je peux la juger, la défendre, la prendre en dérision, et même être complaisante avec elle..."
Assayas a bien senti que l'heure était venue de confier à Kristen Stewart le rôle d'une fille armée comme personne pour comprendre l'époque dans tous ses paradoxes. Que le moment était venu de déplacer légèrement son image. Dans Sils Maria, Kristen porte des lunettes, des cheveux longs filasses qu'elle cache sous une cagoule tout terrain et un t-shirt noir difforme. Elle rappelle Virginie Despentes: même présence immédiate, même puissance critique. Sans doute, partagent-elles aussi ce droit brandi, haut et fort, d'affirmer les choses - à commencer par ses doutes. Surtout, elle annonce l'arrivée d'une génération qui fait mine de n'avoir peur de rien car attaquée depuis longtemps de partout. Kristen en est l'emblème. Ce qui veut tout sauf dire qu'elle aime son époque.
"Les gens pensent que je suis barge, désolée, je ne le suis pas. C'est leur perception de ma force face à eux, mais je suis très calme par rapport à cela. Peut-être parce qu'il y a juste belle lurette que je ne cherche plus la compréhension des autres. Comment serait-elle possible quand ceux qui viennent me voir n'ont lu que des trucs majoritairement faux sur moi? Je ne suis pas dingue, je suis seule. C'est la réalité de ce métier."
La coutume veut que l'actrice qui se lance dans ce genre de complainte prenne la pose drama queen d'usage, faisant bien attention à se ménager de lourds silences. Elle, non. Elle n'a pas fini. Elle demande qu'on l'a suive jusqu'au bout de son raisonnement: "Les gens me parlent comme à une chose, OK: cette chose, je l'ai nourrie, manipulée. C'est le job qui veut ça - ce foutu job qui ne s'arrête jamais. Certains vont au boulot puis rentre chez eux. Nous, non. Il n'y a plus de frontières: elles ont fondu. Il n'y a plus de vie privée. La mienne, j'y ai renoncée."
On fixe ses mains, qui n'en finissent plus de griffer ses cuisses. Il y a deux minutes, elle semblait indestructible. Là, plus du tout. "Tout est public, relayé, connecté. Et je ne peux pas dire que je m'en fous totalement. Je dois décider seule si ça me dévaste ou non. Et j'ai décidée que cette célébrité n'allait pas me foutre en l'air. Sinon, je serais dingue. Dingue de googliser mon nom et de voir étalées partout, par millions d'entrées, mes histoires d'amour, mes ruptures, mes erreurs. Je n'ai pas d'autre choix que la survie."
Il y a six ans, Warrior Kristen fêtait ses 18 ans et attendait en trépignant d'impatience la sortie du premier épisode de Twilight, dont elle partageait l'affiche avec celui qui, lentement, était entrain de devenir son boyfriend: l'acteur Robert Pattinson. En cinq épisodes, Twilight a brutalement rendu Kristen et Pattinson plus célèbres que le pape et les Beatles réunis, et nous a tenus au courant de toutes les rumeurs sur leur histoire jusqu'à ce qu'elle s'autodétruise en 2012.
Chaque fois que Kristen roule une pelle à un mec (ou à une fille), cela devient dans l'instant même plus important que la Syrie ou le taux de chômage. "Je pense que Robert et moi, ou Justin Bieber, avons essuyé les plâtres d'une forme neuve de surexposition. Peut-être que ça n'a jamais été aussi loin avant nous. La vitesse à laquelle les rumeurs se propageaient... Inimaginable. J'ai développé depuis une haine tenace envers la technologie."
Être la créature d'un outil et ne pas l'aimer. Manipuler une ampoule qui à la fois t'éclaire et te brûle. Tout devoir au monstre que tu nourris et qui te tue."Nous, on voulait juste être acteurs, mais le succès est arrivé à un moment de l'histoire où la célébrité est considérée comme un truc plus sexy et désirable que le bonheur. C'est ça qui a rendu les choses bizarres. Personne n'accepte que tu doutes une seconde de la célébrité: 'Hey, on t'as mis là, c'est nous qui t'avons fait célèbre, alors maintenant donne nous ce qu'on te demande.' Ce sentiment d'avoir été choisie pour eux et de devoir me sacrier pour eux a occupé pas mal de mes pensées, trop longtemps."
Tout ce que l'on a lu depuis quatre décennies sur la paranoïa, de Philip K. Dick à Bret Easton Ellis, n'est rien face à ce qu'a expérimenté cette fille: la paranoïa 2.0.
Qui décide donc de travailler avec Assayas parce qu'on ne le lui demande pas et qui, au tournage, s'émerveille qu'un cinéaste lui propose enfin d'imaginer son personnage. "Moi, je viens d'une école où l'acteur n'a pas besoin d'avoir d'imagination!" Au bout du compte, pas étonnant qu'elle y apparaisse d'une intelligence aiguë. Qui bluffe tout le monde. "A croire que depuis Sils Maria, je bouge, je parle! Scoop planétaire!" Elle ne lâche rien. C'est bien.
Histoire de continuer ce jeu de masquer entre le réel et la fiction nous lui proposons de faire la séance photo avec Benoît Peverelli, qui joue le photographe dans le film d'Assayas. Ils se connaissent, inventent à toute vitesse. On les regarde jouer quand, soudain, elle se retourne et nous demande pardon "pour la nervosité. Je ne devrais pas le dire, mais il y a dix minutes, en venant ici, j'ai appris que j'étais dans la short list des actrices retenues pour le prix d'interprétation. Je peux crâner autant que je veux, mais c'est Cannes, je viens d'un autre cinéma et là, soudain, je ne sais plus où j'habite. On croit que je m'en fous, mais rien n'est plus important pour moi que de jouer."
Julianne Moore a finalement remporté le prix. On ne peut totalement en vouloir au jurés: si Kristen Stewart fait peur, c'est avec tout parce qu'elle incarne une génération à qui on ne pardonne pas encore d'avoir déjà raison.
http://www.itsoktobeyou.org/
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