mardi 7 mars 2017

Personal Shopper : Interview d'Olivier Assayas avec Film Journal

A l'occasion de la promotion britannique de Personal Shopper, Olivier Assayas évoque Kristen et leur collaboration, le tournage et l'intrigue du film, le paranormal et la communication dans une interview avec Film Journal.


C'est la seconde collaboration entre Stewart et Assayas, après le drame psychologique de 2014 Clouds Of Sils Maria. Là, elle a joué une assistante pour seconder la lumineuse Juliette Binoche, l'aidant à se préparer pour un rôle difficile en questionnant tout à propos de sa vie.

Stewart est une présence magnétique tout au long de Personal Shopper. Dans le rôle de Maureen, une assistante d'une célébrité internationale, elle peut jeter un coup d’œil dans un monde de privilèges tout en luttant toujours pour joindre les deux bouts. En tant que spiritualiste, en quelque sorte une chasseuse de fantômes, elle plonge dans une vie après la mort qui peut soudainement devenir malveillante. Et affligée par la mort de son frère jumeau, elle doit affronter sa propre mortalité.

'Elle a fait son apparition sur le plateau 48 heures avant le tournage', a dit Assayas par téléphone. 'Je lui avais donné un scénario qui était plus ou moins 'fini', mais en fait nous l'avons fini sur le tournage'.

Le réalisateur décrit leur travail comme un processus de communication non verbale, de fonctionnement sur des longueurs d'onde similaires. Il loue la maîtrise du cinéma de Stewart, sur le fait de 'comprendre ce qui se passer à l'intérieur d'une prise. Elle apporte une cadence incroyable et un rythme, elle recrée les personnages de l'intérieur, mais en même temps, elle est guidée par la physicalité, par le corps'.

Assayas souligne la manière dont Stewart peut manipuler le temps à l'intérieur d'une prise, en élargissant ou en contractant les scènes simplement par la force de son engagement dans le moment. 'Elle sait qu'elle peut essayer des choses', dit-il. 'Elle sait qu'elle peut pousser les choses. Je pense que lorsque vous avez une mauvaise relation avec les acteurs, ils ne seront pas aussi audacieux parce qu'il y aura toujours la possibilité qu'ils essayent quelque chose de stupide, vous ne serez pas assez intelligent pour le monter. Il s'agit de la confiance. Je lui donne autant d'espace et de temps dont elle a besoin dans une prise et elle me confie les risques qu'elle prend. Elle me rend la confiance que je lui donne'.

'Beaucoup de scènes ou de moments étaient beaucoup plus courts ou légèrement différents dans le scénario. De temps à autre, Kristen faisait quelque chose et je me tournais vers mon assistante réalisatrice et lui demandais combien de temps durait cette prise, et elle me disait quelque chose comme trois minutes. Et je flippais simplement parce que je ne réalisais pas que c'était aussi long. Mais je ne m'ennuyais pas une seconde, je découvrais quelque chose de nouveau que Kristen apportait'.

Stewart n'a jamais été aussi ouverte et sans limite à l'écran auparavant. En montant ans un EuroStar entre Paris et Londres, elle est tourmentée par une série de SMS anonymes qui touchent ses craintes. Assayas amène lentement la caméra dans un plan serré sur son visage alors que les larmes tombent de ses yeux. C'est un moment difficile dans une scène avec de nombreuses exigences techniques, mais Stewart le fait paraître sans effort à l'écran.

'Mon expérience est que Kristen fonctionne de la même façon avec d'autres actrices dans cette émotion qui vient de la musique', observe Assayas. 'Je pense qu'elle a besoin de construire ses émotions en écoutant de la musique spécifique, en se mettant ce genre d'état émotionnel'.

'Mais c'est absolument quelque chose que je ne discuterais pas même une seconde avec un acteur et plus encore avec Kristen. Je ne veux simplement pas savoir comment ils le font. Voici la prise, la prise c'est vous que vous vous effondrez. Si vous pleurez, si c'est votre façon de vous effondrer, ok, mais si vous ne pleurez pas et si vous vous effondrez d'une autre façon, c'est bien aussi'.

Assayas et le directeur de la photographie Yorick Le Saux ont filmé la séquence dans une voiture stationnée dans une cour ferroviaire, en utilisant l'écran vert pour intégrer les images de voyage pendant la postproduction. Le réalisateur prévoyait initialement de filmer dans un train en mouvement, mais en essayer de faire correspondre l'éclairage et les extérieurs lui ont fait reconsidérer les choses.

'En fin de compte, c'est beaucoup mieux pour les acteurs', dit-il. 'Avec un train en mouvement, cela devient un mal de tête, on oublie l'interprétation pour relever un défi technique … Au lieu de cela, la façon dont nous avons travaillé, nous pouvions filmer toutes les scènes de train en une journée. Ce qui est fou, beaucoup de matériel, tout est portatif. Mais il s'agit d'essayer de garder l'énergie, de garder l'acteur protégé du côté technique'.

Fils du réalisateur et scénariste Raymond Assayas, Olivier a commencé sa carrière en tant que critique. Célèbrement éclectique au cours de sa carrière, il n'avait pas encore explorer les genres de l'horreur et du suspense avant Personal Shopper.

'Lorsque j'ai commencé à écrire à propos du cinéma, ce qui m'excitait le plus, ce qui ressemblait au cinéma le plus moderne, c'était ce que faisait John Carpenter', explique t-il. 'Wes Craven, David Cronenberg, Dario Argento aussi, mais je pense que Carpenter a été l'influence majeure'.

Assayas affirme que Personal Shopper n'est pas une 'histoire de fantôme' ou un 'thriller du suspense', ce qu'il appelle des mots de code qui restreignent le sens ou l'intention d'un film. Il préfère le 'collage', en combinant des éléments qui deviendront quelque chose de nouveau dans l'imagination des téléspectateurs.

S'appuyant sur la caméra Carpenter glissante, subjective utilisée dans des films comme Halloween et aux nombreux plans similaires dans Personal Shopper, Assayas parle de la manière dont la cinématographie peut capturer l'émotion en utilisant la dynamique de la musique et de la danse moderne.

'Les films ne sont pas simplement comme une surface plane que vous visualisez, ce sont des espaces ouverts où vous circulez', explique t-il. 'C'est une dimension que je tente consciemment d'intégrer dans mon cinéma'.

'J'aime le cinéma de genre parce qu'il a ce genre de relation physique avec le public', ajoute t-il. 'C'est quelque chose pour laquelle j'ai été obsédé parce que je pense que c'est une dimension qui manque énormément au cinéma indépendant moderne'.

Assayas se demande si la technique cinématographique a régressé depuis les années 60. 'Je pense que cela a un rapport avec une simplification de la syntaxe cinématographique. Les exigences financières, le poids de l'industrie sur les réalisateurs ont tendance à créer une syntaxe conventionnelle. Ce qui est excitant dans le cinéma, c'est de briser ces limites'.

La prolifération des écrans et des images dans Personal Shopper est l'une des façons avec lesquelles Assayas essaie d'étendre la syntaxe. Les éléments de l'intrigue se déroulent à travers Skype et YouTube, à travers des recherches sur Internet, des extraits de documentaires, des conversations anonymes. Hitchcock n'a jamais eu la chance d'utiliser la messagerie par SMS dans ses films. Comme le montre Assayas, les textes peuvent ajouter une urgence en temps réel aux scènes de suspense, tout en commentant de façon critique l'action.

Personal Shopper aborde également le paradoxe d'être submergé par l'imagerie aujourd'hui consommée par la solitude. 'Notre solitude est incroyablement peuplée', dit-il. 'Ce que nous faisons maintenant, c'est l'interaction avec les idées, les médias, les gens que nous ne connaissons pas'.

Lors d'une session questions/réponses après une projection, Stewart approuve : 'Je pense que Maureen veut être tout à fait invisible et en même temps être vraiment vue. Et je crois qu'elle a vraiment des difficultés avec cela. C'est bizarre, nous pensons que nous avons plus de contrôle sur les réseaux sociaux parce que nous l'avons dans nos mains. Cela vous donne l'impression que vous vous connectez, mais vous êtes totalement seul lorsque vous le faites'.

Personal Shopper établit une sorte de hiérarchie des images, allant du film de 35mm à la télévision et aux images dégradées d'un chat sur écran. À un niveau, le film montre la façon dont nous nous rapportons à l'imagerie, à partir de la technique de l'écran silencieux qu'Assayas emploie pour suggérer des fantômes aux effets hypnotiques des écrans LED.

'Je ne pense pas que le cinéma soit juste une autre image', prévient-il. 'Pour moi, le cinéma est l'élément stable, solide dans un monde d'images fluctuantes. Le cinéma est l'image qui a la capacité de capturer d'autres images et qui a également la capacité de penser au statut des différentes images'.

Même ainsi, Assayas se rend compte que beaucoup de spectacteurs expérimenteront Personal Shopper dans des conditions moins qu'idéales, peut être le regarder sur un iPhone pendant un voyage train. 'Oui, mais mettons un peu de perspective à ce sujet', dit-il. 'Ma première exposition au cinéma, au grand cinéma que j'admirais, était à travers une petite image dégradée sur la télévision en noir et blanc. Regarder des films sur la télévision de mes parents, je ne me sentais pas de les regarder. Ils ont laissé une grande impression sur moi'.

'Mais cela ne change pas mon point de voue sur le cinéma en général. Je pense toujours que les films doivent être vus sur un écran, comme une expérience collective'.

Cependant, vous le voyez, Personal Shopper continue un voyage fascinant par l'un des réalisateurs les plus accomplis de l'industrie.

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