mardi 20 septembre 2016

Personal Shopper : Interview d'Olivier Assayas avec Crave Online

A l'occasion de la projection de Personal Shopper lors du Festival International du Film de Toronto 2016 (TIFF16), le réalisateur français Olivier Assayas évoque Kristen Stewart, leur collaboration, le film et le Festival de Cannes dans une interview avec Crave Online. 
TIFF 2016 – Olivier Assayas à propos de Personal Shopper et le fait de retirer le glamour chez Kristen Stewart

Le réalisateur primé explique la raison pour laquelle il continue de caster Kristen Stewart comme assistante personnelle.

Le réalisateur français Olivier Assayas a réalisé des films dramatiques acclamés depuis des décennies, mais peu ont provoqué autant la division que Personal Shopper, un drame d'horreur dans lequel apparaît Kristen Stewart dans le rôle d'une assistante personnelle d'un modèle professionnel qui est en contact avec le surnaturel. Personal Shopper a été diffusé en avant première avec des standing ovations mais également de fortes huées lors du Festival du Film de Cannes 2016, où Assayas a finalement remporté le prix du Meilleur Réalisateur (qu'il a partagé avec Cristian Mungiu, qui a réalisé Graduation).

Après une réaction comme cela, il n'y avait pas moyen que je manque Personal Shopper lors du Festival International du Film de Toronto, et bien sûr, j'ai trouvé que le film était une sage méditation sur notre relation avec la mort et l'anxiété, soutenu par au moins l'une des scènes les plus effrayantes dans la mémoire récente. Plus tard, j'ai rencontré Olivier Assayas pour discuter de la réception controversée du film, des connections qu'il établit entre la technologie et la spiritualité et la raison pour laquelle – pour la deuxième fois consécutive, après l'acclamé Clouds Of Sils Maria – il a casté Kristen Stewart dans le rôle d'une assistante personnelle.

Journaliste : Cela peut sembler être une question étrange mais je voulais commencer ici … Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire un film à propos du shopping ?
Olivier Assayas : [Rires] Je ne pense pas … Je ne pense pas que j'ai fait un film à propos du shopping. Peut être qu'un jour j'en ferais un. Mais vous savez, il s'agit d'un film à propos de la tension entre, évidemment, le genre de boulot que les gens ont et leurs aspirations, qui sont beaucoup plus, peut être, un peu plus ambitieuses ou complexes. Je pense que je voulais que le personnage de Maureen ait, pas exactement le travail le plus stupide, mais certainement le travail le plus aliénant. Je ne pense pas qu'il s'agisse simplement de shopping pour une célébrité, je pense pas qu'il y ait quelque chose qui soit plus aliénant que cela.
Alors ouais, ce n'est pas que j'ai [quelque chose] de mal à dire sur l'industrie de la mode, mais tout de même, c'est devenu l'incarnation de quelque chose qui a à voir avec le matérialisme et l'argent et une culture de la célébrité et ceci et cela. Donc, je pense que c'est assez facile de comprendre la raison pour laquelle quelqu'un comme Maureen, comme son personnage, a une relation difficile avec ce travail et ce monde.

Journaliste : Elle semble être en quelque sorte séduite par cela, mais pensez-vous que cela soit symptomatique de ses inquiétudes à propos du fait de vivre sa propre vie ?
Olivier Assayas : Je pense que nous avons tous une relation ambivalente avec le monde moderne. Nous le décrivons comme matérialiste, nous le décrivons comme obsédé par la superficialité, bien sûr, mais en même temps, nous sommes attirés par celui-ci. Nous ne disposons pas d'un rejet complet de celui-ci. Nous sommes en quelque sorte une partie de celui-ci. Et il en va de même pour elle, mais nous avons affaire à un personnage qui est … Elle n'a pas seulement perdu son frère, cela ressemble plus au fait qu'elle a perdu la moitié d'elle-même et elle essaie de devenir de nouveau un tout. Alors, elle recherche en quelque sorte sa propre identité et notamment son sexe, dans le sens où elle est sur cette ligne mince entre androgynie et féminité. Je pense que le travail stupide qu'elle fait, acheter des vêtements et des vêtements glamour et ceci et cela, est quelque chose qui l'attire également dans le sens d'expérimenter sa propre relation avec sa propre féminité.

Journaliste : Elle a perdu son frère. Elle a perdu une partie d'elle-même. Mais elle a la même capacité que son frère possédait et la mort à tout moment. Il s'agit d'une peur que je connais moi-même énormément, de manière générale. Pourquoi était-ce nécessaire de mettre cette histoire dans un monde où les fantômes sont réels ? Réel sans équivoque ?
Olivier Assayas : Parce que … Je pense que c'est simplement faire quelque chose d'un peu abstrait, de réel. Parce que nous appelons des fantômes, des forces, des choses qui sont autour de nous, qui en fin de compte font partie de nous. Ils font partie de notre distorsion de la réalité qui nous entoure, d'une certaine manière. Mais nous ne devrions pas être aveuglé par le nom de 'fantômes'. Tout est à propos de, vraiment, la connexion avec une autre dimension du monde et nous savons qu'il y a une autre dimension au monde parce que [touche divers objets autour de lui] le monde matériel n'est pas la fin de celui-ci. Donc, nous essayons tous d'explorer cela dans un sens. Ici, nous lui donnons un nom. Nous lui donnons le nom de 'fantôme' et oui, je suis en quelque sorte habitué à la matérialité de celui-ci, ce qui en fin de compte dans le film est plus comme une hallucination, mais d'une certaine manière, cela aide. Cela me permet d'apporter quelques éléments de genre qui rendent l'ensemble du processus un plus excitant. Il ajoute de la tension, me permet de le placer de cette façon.

Journaliste : Avez-vous le sentiment que vous avez travaillé correctement avec le genre de l'horreur auparavant ?
Olivier Assayas : Bien évidemment non, cela n'est pas le cas et celui-ci n'est certainement pas un réel [film] de genre. Vous savez, c'est l'histoire de Maureen, qui implique quelques éléments de genre ici et là.

Journaliste : Malgré tout, qu'est-ce qui vous attire à propos du genre ? Qu'est-ce qui vous a donné envie de jouer avec ?
Olivier Assayas : C'est parce que j'ai été incroyablement influencé par des cinéastes de genre, c'est une partie de celui-ci et je pense que la supériorité du cinéma de genre est la relation qu'elle entretient avec le corps de l'audience. Je pense qu'une grande partie du cinéma sérieux a du mal à sa connecter avec la physicalité du public, alors que le genre, il passe simplement à travers tout le corps. Vous réagissez, vous ne pouvez pas contrôler la réaction parfois vis à vis du cinéma de genre. Alors ouais, je pense que les réalisateurs qui en fin de compte avaient la plus forte influence sur moi, si je veux être totalement honnête à ce sujet, sont des des réalisateurs de genre – John Carpenter, David Cronenberg, Wes Craven et d'autres.

Journaliste : Il y a une conversation que Maureen a – je ne veux pas en dire trop – avec la personne à l'autre bout du téléphone et ils parlent de films d'horreur et ce qui lui fait peur à leur sujet. La théorie est qu'elle a peur d'avoir peur. Il s'agit d'un élément du genre d'horreur également. Je sais que beaucoup de gens ne vont pas regarder les films d'horreur parce qu'ils n'aiment pas avoir peur.
Olivier Assayas : Vous avez des gens qui réagissent de façon excessive [aux films d'horreur]. Vous savez, nous avons tous des rapports différents vis à vis du cinéma d'horreur, mais cela a beaucoup à voir avec l'amour que nous avons d'avoir peur. J'ai une petite fille et même lorsqu'il s'agit de regarder des dessins animés ou quoique ce soit, la première question est, 'Est-ce que cela fait peur ?', parce qu'elle veut que les histoires fassent peur. Nous aimons également cela. Nous avons peur et nous aimons cela.

Journaliste : Parlez-moi de la scène dans laquelle Maureen enlève le mode avion de son téléphone. D'où cette scène vient-elle ? Elle fait vraiment peur.
Olivier Assayas : Elle était à peu près dans le scénario comme elle l'est [dans le film], mais la question était de la faire correctement et c'était vraiment difficile d'y arriver. J'ai refait la prise genre un million de fois.

Journaliste : Simplement pour le timing ?
Olivier Assayas : Oui, pour le timing. Obtenir le bon timing était juste ridiculement compliqué, obtenir le timing et à la fin, c'est la seule … J'ai enfin eu le sentiment que je voulais ressentir cela dans cette prise lorsque nous avons ralenti. C'est le seul écran de téléphone dans le film qui est en fait ralenti parce que cela donne ce genre de vibration étrange, et vous savez, je me souviens de ce gars des effets spéciaux. Il est venu me voir, 'Je suis désolé qu'il y ait ce genre de vibration, nous allons y remédier, nous allons bien faire les choses' et j'ai dit, 'Non, non, non, non, non gardez la vibration. C'est génial !'.
Les téléphones ont créé, à bien des égards, beaucoup de possibilités pour les réalisateurs et ils ont également saisi beaucoup d'opportunités. Je vois des gens dans le genre de l'horreur souvent aux prises avec la façon d'utiliser un téléphone. Souvent, le but est simplement de se débarrasser d'un téléphone et de dire, 'Je ne peux avoir aucune réception', alors le téléphone est retiré pour le reste du film.
[Rires] Ouais, exactement. Je sais. 

Journaliste : Et pourtant dans votre film, c'est presque nécessaire, il s'agit de cette métaphore à propos de la connexion avec une autre entité. Suis-je en train de lire cela correctement ?
Olivier Assayas : Oui ! Oui tout à fait, tout à fait. Je joue légèrement avec cette communication entre deux époques différentes. Je veux dire ce film est dans cette zone étrange dans laquelle vous dialoguez avec la fin du 20ème siècle, ce qui est vraiment la période où les gens prenaient au sérieux la communication avec un autre monde. Il y a cette fenêtre dans le temps entre le milieu du 19ème siècle et les premières années du 20ème siècle lorsque les gens prenaient simplement très sérieusement la possibilité de communiquer avec les esprits. Cela n'était pas quelque chose de mystique ou de bizarre ou quelque chose du genre. Cela a été lié avec la technologie moderne. Cela a été considéré au même niveau que l'invention de la photographie à rayons X ou l'invention de la communication radio. J'ai donc utilisé cette période comme une source d'inspiration parce que je voulais les personnages du le film pour discuter du surnaturel ou un monde parallèle, ou peu importe comment vous l'appelez, comme un fait. Comme quelque chose de solide.

Journaliste : Pourquoi ne pas simplement faire le film comme un film d'époque ?
Olivier Assayas : Oh non, j'étais intéressé par le fait de projeter cela dans le monde moderne. Je veux dire en utilisant le passé pour interroger le présent.

Journaliste : Pourquoi est-ce si intéressant pour vous de faire de Kristen Stewart l'assistante personnelle de quelqu'un ?
Olivier Assayas : Ouais, c'est une bonne question. Je ne sais pas pourquoi. [Rires] Cela s'est juste passé comme cela. Je pense qu'elle est le contraire de beaucoup de stars de cinéma. Elle est très … Elle est tellement présente. Elle est franche. Elle est tellement simple. Avec elle, elle ne m'inspire pas beaucoup de personnages qui sont plus grands que la vie. Elle m'inspire [à écrire] quelqu'un qui fait partie de la foule et je pense que c'est parce qu'elle est belle, qu'elle a une telle présence puissante, mais en même temps, elle a les pieds sur terre. Elle est normale. Alors je pense que c'est vraiment intéressant de la rendre moins glamour parce que je pense qu'elle est quelqu'un avec lequel vous pouvez vous identifier sur un plan humain très simple, naturel.

Journaliste : Qu'avez-vous prévu pour le troisième épisode de la trilogie 'Kristen Stewart Est Une Assistante Personnelle' ?
Olivier Assayas : [Rires] Cela devrait être une trilogie.

Journaliste : Vous n'êtes pas obligé de vous précipiter. Vous avez le temps.
Olivier Assayas : Je veux faire un film d'époque. Je veux faire un film d'époque avec Kristen.

Journaliste : Pouvez-vous me dire ce que vous avez à l'esprit … ?
Olivier Assayas : Non, non, non, je n'en ai aucune idée. Ouais, voilà le concept.

Journaliste : Je paierais pour voir ça. Personal Shopper a eu des réactions très polarisantes. Est-ce satisfaisant en tant que réalisateur ? Est-ce frustrant ?
Olivier Assayas : C'est Cannes. C'est Cannes, vous savez ? Que puis-je dire ? Je vais à Cannes depuis que j'ai 20 ans ou quelque chose comme ça, que j'ai à peine 20 ans alors je vais là-bas depuis un certain temps. [Pense] Vous ne faites pas des films pour être consensuel, vous ne faites pas des films pour créer des divisions non plus. Mais vous ne savez pas ce que vous avez fait. Maintenant, en regardant en arrière dessus, je ne pense pas … Je pense que c'est un film qui est un défi. Je pense que c'est la partie qui me rend heureux. Alors, honnêtement, je suis plus heureux d'avoir un film qui crée des tensions car au moins A/ le film est vivant, B/ il a un public qui est vivant. Il y a des gens qui, genre, ne dorment pas pendant le film ou quelque chose du genre. [Rires]
Mais ensuite vous êtes toujours plus heureux quand les gens comprennent exactement ce que vous avez fait et s'en soucient ou quelque chose comme ça. Mais, vous savez, le cinéma, c'est prendre des risques et je viens d'une culture où la prise de risques est quelque chose qui a été respecté ou apprécié ou c'était un plus. Ici, maintenant, je pense que peu à peu les gens n'aiment pas que vous preniez des risques. Vous savez, c'est plus, 'Pourquoi vous ne le faites pas de la façon habituelle ? Pourquoi vous ne racontez pas cette histoire d'une manière normale ? Pourquoi nous surprendre ?'.

Journaliste : Mais ensuite, nous nous plaignons, 'Oh, il fait la même chose que ce qu'il fait habituellement'.
Olivier Assayas : Ouais, c'est Cannes. [Rires] C'est Cannes. Vous ne savez jamais ce qu'il va en ressortir.

Journaliste : Et après ? Est-ce qu'on en viendra au film d'époque ?

Olivier Assayas : Il y a quelques années, j'ai écrit et préparé un film qui a en quelque sorte subi un coup d'arrêt la veille du tournage, ici au Canada, qui était un film international coûteux. Il pourrait de nouveau être d'actualité alors je suis en quelque sorte impatient.

  

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