Sils Maria, présenté il y a un peu plus d'un mois en compétition à Cannes, est peut-être le pinacle de la carrière d'Olivier Assayas, un chef-d'œuvre d'écriture et de mise en scène, une réflexion sur la vie et sa représentation du cinéma et de sa relation avec le temps. Le film raconte l'histoire d'une actrice de la cinquantaine (jouée par une extraordinaire Juliette Binoche) et de son travail sur une nouvelle mise en scène de la pièce de théâtre, qui jeune femme, lui a apportée la notoriété: se retirant avec son assistante (Kristen Stewart) dans une maison de Sils Maria, une station dans la montagne en Engadin en Suisse, elle est confrontée au texte, au nouveau rôle (elle n'est plus une jeune fille insouciante, mais sa victime, une dame d'âge mûr séduite), au sens du passé et au rapport avec la modernité, l'imaginaire contemporain et la sensibilité de sa jeune collaboratrice.
Après avoir parlé de la jeunesse, de l'âge adulte, de l'amour, des liens familiaux, dans Sils Maria pour la première fois vous parlez du temps. Et en particulier, du rapport que chacun de nous avons avec le temps, le présent, le passé et l'avenir. Est-ce votre premier film "mature"?
Olivier: En fait je ne pense pas au temps en terme de vieillissement, pour moi c'est comme si le temps était immobile, j'ai toujours le sentiment d'être la personne qui, il y a de nombreuses années a commencé à faire des films ou même avant, la peinture. Mais il est vrai qu'au fil des ans il ajoute quelque chose à la personnalité, peut-être l'expérience du monde, peut-être la perception des choses, laquelle nous rend moins intuitive et plus réfléchie. Le fait est que la question du temps et du vieillissement est plus facile à traiter quand on est un réalisateur, ou plus généralement un homme. Pour les femmes et pour les actrices c'est beaucoup plus difficile, il y a des signes que le temps laisse sur le visage et que la caméra capture comme un microscope.
C'est pourquoi vous avez décidé de faire de Juliette Binoche, de son visage et de son corps, le centre du film?
Olivier: L'expérience de Juliette me permet de parler du temps comme d'une douleur que je ne vis pas, mais que je peux comprendre. Mon chemin pour revenir à Juliette et la façon dont elle devait prendre possession de son personnage sont complémentaires, car il y avait une dynamique entre moi, elle et une expérience commune du passé, mais différente. Pour donner vie à cette tension, cependant, j'avais besoin d'une jeune homologue, et de là est venue l'idée du personnage de Valentine, l'assistante de l'actrice principale. La présence de la jeunesse a toujours été cruciale dans mes films, parce que je pense que le cinéma lui-même est un art de la jeunesse: il y a quelque chose dans la relation constitutive qui établit non seulement la représentation de cette période de la vie, mais aussi avec les jeunes publics. Je savais alors, que dans le film il y aurait une relation entre une femme mûre et une jeune et que ma position en tant que réalisateur serait ambiguë, parce que, en tant que personne contemporaine par rapport à Maria, je me sens beaucoup plus proche de Valentine.
A ce stade il est naturel de se questionner sur Kristen Stewart et son personnage Valentine, la plus ambiguë et insaisissable du film. Comment écrivez-vous une figure si fugace et indéterminée, capable de disparaître de la scène, mais en même temps de laisser la marque indélébile de l'absence, du mystère?
Olivier: Tous les personnages de Sils Maria ont été écrit de façon très précise, mais en même temps modifiés par leurs interprètes. Le rôle de Valentine a été en fait conçu pour Mia Wasikowska - et je suis même sûr qu'elle l'aurait bien réussi - mais quand Kristen l'a repris (laquelle pour être honnête était le choix initial, puis ignorée pour des raisons diverses et vers qui on est retourné à un moment quand Mia a été contrainte d'abandonner le film pour des problèmes de contrat avec une autre production ...) le rôle a pris une nouvelle forme. L'ambiguïté du personnage a évidemment un rapport avec ce que j'ai écrit, mais aussi avec l'interprétation de Kristen: si elle se l'est appropriée d'une façon subtile, intelligente, et que je me suis limité à suggérer qu'elle interprète un personnage très pragmatique et presque brutale, mais aussi affectueux.. Pour moi c'était important de ressentir de l'empathie envers Valentine. car l'identification du spectateur chez elle est essentiel. Sils Maria dans la question d'identification passe continuellement d'un personnage à l'autre, mais Valentine est la privilégiée; dans un sens je me suis senti plus proche d'elle que du personnage de Juliette, malgré la différence d'âge. Ce qui m'a intéressé dans sa disparition était son écho, sa résonance: Valentine disparaît de la scène, mais à cause de cette non-fin dans le film, le spectateur peut continuer à penser à elle quand il en sort ... c'est exactement ce qui se passe!
En ce qui concerne la relation entre le corps et l'absence, ne pensez-vous pas qu'au fil des ans votre cinéma a été moins direct et plus physique et discursif, aussi à cause de la plongée dans le récit du téléfilm narratif Carlos? Dans ce sens, il me semble que Sils Maria réalise une synthèse délicate entre ces aspects de votre cinéma, l'anthropocentrique, par exemple, et le récit ...
Olivier: La vérité est que oui Carlos est un téléfilm, mais le film que j'ai fait: en réponse au format télévisé, en fait, j'ai ressenti le besoin de passer au cinéma. J'ai utilisé des objectifs plus grands et plus large, parce que je voulais photographier des paysages, des appartements et des espaces où le décor est crucial. Jusqu'à ce moment je n'avais utilisé que de longs objectifs, avec un effet abstrait, mais Carlos m'a forcé à m'ouvrir autant que possible, ouvrir, ouvrir, ouvrir ... jusqu'à ce que j'en arrives à réinventer ma relation avec l'espace. Depuis là je n'ai pas changé, je veux filmer avec plus de perspective et avoir une plus grande présence du corps dans les plans. Avant de ne filmer que les visages, je ne m'intéressais qu'à eux, mais maintenant je prend l'ensemble du corps d'une façon nouvelle et plus satisfaisante pour moi. Ce qui a été d'une importance fondamentale avec Kristen, par exemple, parce qu'elle utilise son corps comme une danseuse. Il a une extraordinaire mobilité et modernité dans l'utilisation du physique, on dirait qu'elle ne l'utilises pas, mais la façon dont elle le place sur scène est magnétique, vraiment impressionnant.
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