mercredi 15 février 2017

Certain Women : Interview de Kelly Reichardt avec Nylon [NYFF 2016]

A l'occasion de la press junket de Certain Women lors du Festival du Film de New York 2016 [NYFF 2016], la réalisatrice Kelly Reichardt parle de Kristen, du projet, du tournage et du cinéma indépendant dans une interview avec Nylon.


Journaliste : C'est le jour de sortie de votre film. Comment vous sentez-vous ?
Kelly Reichardt : Je me sens bien. Je suis assise ici, en train de plier mon linge. Je veux dire, c'est agréable parce que cela n'est pas comme un festival où il y a énormément de brouhaha et où il faut s'apprêter. Il s'agit simplement de prendre le métro et d'aller faire des sessions questions/réponses, ce qui va être sympathique.

Journaliste : A quel moment dites-vous au revoir à un projet ? Y a t-il un moment où vous le laissez complètement partir ?
Kelly Reichardt : Vous le laissez en quelque sorte partir plusieurs fois. J'ai laissé Certain Women s'en aller après qu'il ait été fait, donc en janvier, et puis un mois plus tard, vous allez à Sundance avec lui, donc vous revenez en quelque sorte vers lui. Et ensuite, je l'ai laissé partir après Sundance, jusqu'à maintenant. J'ai travaillé sur quelque chose d'autre tout ce temps et on se dit, 'Oh mon dieu, replonge ton esprit dans Certain Women'. Je pense qu'à Thanksgiving, cela sera complètement fini et il sera derrière moi.

Journaliste : Je suppose que vous apprenez des nouvelles choses sur la réalisation avec chaque film que vous faites. Qu'est-ce que Certain Women vous a appris ?
Kelly Reichardt : Une chose que vous apprenez encore et encore est de faire confiance à vos propres instincts. C'est une situation imparfaite mais je trouve plus facile d'être fâchée contre moi-même que d'être fâchée contre les autres parce que je finirai éventuellement par me laisser tomber. Et ainsi, une leçon – nous filmons toujours juste dans un tel temps volatile, bizarre – est de ne pas réagir à tout ce qui se passe autour de vous. Tout le monde fait son travail et tout le monde pense que son domaine est le plus important et c'est ce que vous voulez qu'ils pensent. Et vous devez écouter et vous devez répondre à tout le monde et je pense qu'il faut garder votre œil sur la performance et ce qui va fonctionner pour vos acteurs au lieu de se préoccuper de ce qui se passe avec la météo. Et cela devient plus facile alors que vous vieillissez et que vous devenez plus expérimenté. J'ai autant d'expérience que quiconque sur mon tournage, donc je pourrais aussi bien m'écouter.

Journaliste : Est-ce étrange d'avoir quelqu'un d'aussi célèbre que Kristen Stewart sur le tournage de votre petit film indépendant ? Y a t-il quelque chose d'anachronique à ce sujet ou est-ce totalement naturel ?
Kelly Reichardt : Non, nos films sont un excellent égaliseur parce que nous n'avons pas d'argent pour traiter avec quiconque s'il y avait cette échelle différente ou classification de personne. [Durant le tournage de Night Moves], Dakota Fanning et Jesse Eisenberg vivaient dans le même hôtel que la personne qui s'occupait de la restauration. Même chose avec Kristen. Nous n'avons pas vraiment le budget pour avoir ces différents niveaux, donc il y a très peu de différenciation entre la distribution et l'équipe. C'est presque une chose fluide et c'est assez intime. Je me souviens de Dakota pleurant quand elle nous a quitté parce que nous avions encore une semaine ou deux semaines de tournage lorsqu'elle est partie et je me souviens qu'elle m'a appelé depuis un tapis rouge sur lequel elle était et elle m'a dit, 'Je suis tellement triste de ne pas être avec vous'. Les gens sont très impliqués, tout comme Michelle l'a été, parce qu'ils deviennent amis avec l'équipe.
Kristen a reçu toute l'équipe chez elle pendant un jour de congé. Je pense que les acteurs aiment cela, lorsqu'ils ne sont pas dans une caravane séparée vivant une expérience distincte et mon équipe comprend des gens vraiment géniaux.

Journaliste : Y avait-il quelque chose de révélateur en ce qui concernant la performance de Stewart ? Vous a t-elle appris quelque chose à propos de l'interprétation ?
Kelly Reichardt : Oui, Kristen aime en quelque sorte apprendre des répliques pendant qu'elle évolue dans le film et j'ai trouvé cela surprenant et effrayant. Alors cela signifiait que ce monstrueux hamburger qu'elle mange dans le film, elle allait en manger 13. Je disais, 'Je ne sais pas comment tu vas faire'. De plus, il n'y a pas de personnage principal dans le film et elle n'a même pas le rôle principal dans sa partie du film. C'est l'histoire d'une éleveuse. Et j'ai tout de suite su qu'elle était totalement à l'aise avec cela. Elle voulait toujours que Lily fasse d'abord sa scène et elle voulait que la caméra soit d'abord sur Lily. J'étais étonnée de voir à quel point elle se laissait aller parfois dans une scène sans conséquence. Ensuite, il y avait d'autres choses que je n'avais pas vraiment réalisé jusqu'à ce que je sois dans la salle de montage et c'était simplement des choses plus techniques, elle a un accès facile vis à vis d'elle-même et vous ne pensez pas nécessairement à cela.

Journaliste : Que voulez-vous dire lorsque vous parlez de compétences techniques ?
Kelly Reichardt : Elle sait en quelque sorte à quel moment jeter un regard et même lorsqu'elle n'a pas de dialogue, c'est presque comme si elle pouvait anticiper là où la coupure allait se faire et elle vous donne un mouvement pour couper. Alors, vous vous rendez compte [et vous vous dites], 'Oh elle fait ça depuis très longtemps' et elle est vraiment consciente de l'espace et de l'endroit où elle est dans le cadre, comme les acteurs qui le font depuis longtemps. Je ne rendais pas compte que cela se produisait sur le tournage, j'étais en quelque sorte rattrapée par la performance et lorsque je suis entrée dans la salle de montage, j'ai réalisé qu'elle me donnait quelques petits cadeaux.

Journaliste : Vous avez vécu sur la côte Est pendant la majeure partie de votre vie et pourtant, vous faites tous vos films à l'Ouest. Avez-vous déjà été tentée de faire un film à New York, là où vous vivez ?
Kelly Reichardt : J'aime être loin pour faire un film. Avec ce film, je fais un effort conscient pour faire quelques intérieurs. J'ai commencé à tourner des extérieurs parce que je ne pouvais pas me permettre d'avoir des lumières ou une équipe. Et puis je suis devenue, au fil du temps, plus à l'aise pour tourner à l'extérieur et savoir comment travailler un paysage plus qu'un intérieur. Et lorsque nous faisions Night Moves, en nous concentrant sur le barrage et toutes ces manœuvres énormes qui allaient se passer à l'extérieur, je savais comment faire. Et puis, nous nous sommes lancés dans une scène de cuisine un jour, pour laquelle je n'avais pas accordé autant de pensée et il y avait quatre murs et je me disais, 'Putain qu'est-ce que tu vas faire avec quatre murs?', je vais faire faire fausse route et faire des films en privé, où les tracas de la vie quotidienne ne sont pas présents. Et aussi, égoïstement, vous emmenez votre équipe loin de toutes les choses dans leur vie quotidienne, donc il sont complètement concentrés sur votre film.
Vous parlez du tournage avec des noms d'acteurs, mais lorsque vous êtes dans le Montana, cela n'est pas grave. J'ai regardé mes amis faire un film avec Kristen Stewart dans les villes et à chaque fois qu'elle franchit la porte, il y a des adolescents qui l'attendent. Je ne veux pas de cette merde autour de mon plateau de tournage.

Journaliste : Etes-vous consciente de votre position dans le cinéma américain ? Beaucoup de gens vous vénèrent vous et votre travail. Est-ce quelque chose à laquelle vous portez attention ?
Kelly Reichardt : Je ne rencontre simplement pas vraiment cela. Donc ce n'est pas vraiment dans ma vie.

Journaliste : D'accord, mais en ce moment, il y a une grande histoire à propos de vous dans le New York Times. Est-ce que cela vous dérangerait de nous en parler ?
Kelly Reichardt : Mon ami l'a lu pour moi et m'en a parlé. En fait, j'aime vraiment l'écriture d'Alice Gregory, elle est vraiment excellente. Quand cela n'aura plus d'incidence, je reviendrai et je le lirai, mais je ne vais pas le lire maintenant. Vous ne pouvez pas avoir trop de ces choses dans votre vie. Cela n'est pas bon pour vous. Y a t-il une partie du processus de réalisation que vous détestez ? Le froid. Le froid. Totalement, le froid. Il faisait si froid en faisant [Certain Women], et à un moment donné, je me disais, 'Oh mon dieu, c'est le jeu d'une personne plus jeune, je ne peux pas tenir ici pendant 18 heures dans un temps avec des températures négatives'. Et je pense que c'est la chose la plus difficile, parce que nous travaillons avec des petits budgets dans des endroits éloignés, nous tirons tellement sur nous-mêmes que vous n'avez pas vraiment le temps de vous installer de la façon dont vous le souhaitez. Les acteurs sont plus surpris par la vitesse avec laquelle nous faisons les choses que par le manque de fioritures. Le manque de temps pour faire des choses, c'est la chose la plus difficile. Il n'y a rien de tel que de faire un film sans stress. Je pense que s'il y avait un peu plus de soutien – je comprends la nature de ces films et je comprends pourquoi les budgets sont bas et le monde dans lequel je vis. Mais parfois j'ai le sentiment que si vous êtes dans un groupe dans les années de vos 50 ans et vous voyagez toujours dans un van et vous vous dites, 'Ugh, est-ce qu'on aura un jour un bus ?'.


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