Journaliste :La discussion à propos du film de super héros est l'une des meilleures scènes que j'ai vu depuis un bail. J'aime que cela aborde à la fois ce genre de texte au sérieux et que cela dise aussi que vous ne pouvez pas vous empêcher de rire en même temps.
Olivier Assayas : Ce que j'ai aimé lorsque j'ai écrit et tourné cette scène, c'est que j'ai eu le sentiment que j'étais des deux côtés. Et j'ai eu l'impression que la majorité du public ne serait pas des deux côtés, ce qui le rend essentiellement drôle, d'une certaine manière. Juliette a complètement raison et Kristen a complètement raison. Ce qui est en jeu c'est aussi la différence de génération. Vous avez un objet, dont, vous savez, j'ai pris plaisir à faire une parodie – je me suis tellement amusé à faire ça – mais finalement ils regardent le même objet. Elles ont les deux raison et elles ont des visions complètement différentes, c'est le propos. Une génération – le monde a changé et les points de référence sont différents, et ce qui est évident pour une génération n'est pas si évident pour l'autre. Ce que je dis c'est que ce qui est inscrit dans le temps est bien plus puissant que les rides sur le visage.
Oui, et plus tard dans le film, Kristen dit, 'Le jeu est un objet et il change la perspective selon la direction dans laquelle va votre regard'.
Il s'agit d'une ligne tellement abstraite, et lorsque je l'ai écrite, je me suis dit, 'Oh mon dieu. Puis-je faire sortir ça de la bouche d'une actrice ?' Comment Kristen va t-elle gérer ça ?'. Et Kristen est tellement incroyable – pour rendre des idées abstraites aussi claires que de l'eau de roche. Honnêtement, j'étais subjugué, car elle a quelques passages où j'ai pensé, en termes d'écriture, 'C'est exactement ce que je veux dire, mais ne suis-je pas trop littéral ? Ne suis-je pas trop sérieux avec la théorie ?'. Non – elle a simplement fait ça naturellement.
Oh ouais, on dirait qu'elle articule simplement les idées. Je pense que c'est vraiment une grande performance. Quelqu'un m'a dit l'autre jour qu'elle était à l'origine censée être l'autre personnage ? La jeune actrice jouée par Chloë Moretz ?
Elle aurait pu l'être. C'est quelque chose dont nous avons discuté, mais elle voulait Valentine. Je lui avais offert l'autre rôle, à un moment donné, et elle a presque dit, 'Merci mais non merci'. J'aurais été d'accord avec elle, mais cela aurait été un film complètement différent. Ce film, c'est comme une pièce. En se basant sur qui joue un rôle, la dynamique change complètement. Si Kristen avait joué Jo-Ann, l'actrice, je pense qu'elle aurait été un personnage beaucoup plus sombre et beaucoup plus triste, à bien des égards. Mais la jeunesse de Chloë – elle a eu 17 ans lorsque nous tournions – en fait simplement un personnage maladroit. Elle a une certaine profondeur, mais en même temps, il y a de la distance, il y a de l'ironie. En fin de compte, beaucoup de choses se mettent en place, en termes de narration à travers la distribution, par la différence des quelques années qui séparent Kristen et Chlöe. Elles ont quelque chose comme six ans d'écart, ce qui est énorme à cet âge. Tout à coup, il y a deux superpositions complètement différentes – il n'y a pas de chevauchement.
Il y aussi l'idée des corollaires du monde réel. Dans la scène, en particulier, dans laquelle Valentine défend le personnage de Chloë, il y a un élément d'auto défense. C'est Kristen Stewart qui défend Kristen Stewart. Ce dialogue a t-il été écrit en pensant à elle ?
Non, cela n'a pas été écrit en pensant à elle ; absolument pas. Mais je pense qu'elle s'est vraiment amusée avec la notion de traiter avec la culture de la célébrité, mais en partant de cet angle légèrement oblique. Je pense que si elle avait joué Jo-Ann, cela aurait été un peu trop évident. Ici, je pense que c'est extrêmement intelligent de sa part, car elle peut avoir la bonne distance. Elle peut se démarquer et avoir ce point de vue vraiment intelligent à propos de ça. Le truc c'est qu'elle apporte aussi une autre superposition au film, dans le sens où il s'agit d'un film dans lequel les actrices ne se mélangent pas aux personnages ; elles restent visibles, dans le sens où, vous qui regardez ce film, vous utilisez ce que je vous connaissez de Juliette Binoche ou ce que vous imaginez de Juliette Binoche – la même chose pour Kristen et la même pour Chloë. Même la faible distance que prend Kristen vis à vis du personnage et de ces problèmes le rend plus drôle par le fait que nous sommes conscients de la distance. Ce n'est jamais complètement Valentine qui parle. C'est Valentine et c'est Kristen et il s'agit de la même chose pour Chloë. Chloë a le même âge que ce personnage ; elle pourrait être l'une de ces starlettes, sauf qu'elle est plus intelligente, donc elle est capable de saisir ça et de le parodier. Mais malgré tout, elle pourrait être comme ça. Elle aurait pu être comme ça. C'était une option pour elle.
Je pense que certains de mes collègues ont surnommé la scène où Kristen conduit la nuit comme une séquence tirée du film Demon Lover. Quelle a été l'idée derrière cette scène ? Elle est incroyable.
Eh bien vous voulez la légende ou vous voulez la réalité ?
Hey, c'est ok si c'était arbitraire. Vous pouvez me le dire.
Ok, eh bien, j'ai écrit la scène à un moment où nous avions ce petit aperçu du monde réel de Valentine , qui est complètement différent. Il s'agit juste d'une minuscule fenêtre qui s'ouvre et se ferme. Elle a une vie. Éventuellement c'est triste, mais il y a tout un monde là-bas. Elle n'est pas juste que l'assistante de Juliette. Donc j'avais besoin en quelque sorte de ce moment et j'étais heureux d'exprimer ce moment avec des images, parce qu'avec tout le dialogue et les relations et les trucs, j'ai pensé, 'Pourquoi ne les aborder avec des termes totalement visuels ? Faites qu'ils soient forts, aussi forts que je puisse'. Donc, tout à coup, j'ai su que je voulais utiliser la musique, et de la musique forte, à ce moment-là. Mais ensuite, nous l'avons filmée dans la voiture, j'ai filmé le brouillard, j'ai filmé la voiture dans le brouillard – j'aime le faux brouillard à l'évidence – et ensuite j'ai eu le truc avec la seconde unité de tournage. Le gars a filmé la voiture qui était conduite jusqu'à la colline dans le vrai brouillard.
Et ensuite, vous avez un peu bidouillé ça dans la salle de montage ?
J'ai essayé de le couper de manière assez classique, mais j'ai pensé que c'était mortellement ennuyeux. J'ai pensé que le mec de la seconde unité qui avait filmé dans le brouillard n'avait pas fait un super boulot, j'ai pensé que ce faux brouillard faisait faux, j'ai pensé que peu importe ce que Kristen faisait était génial, mais pas assez explicite ; donc je me suis dit, 'Ok, pourquoi ne pas tout mettre ensemble et simplement faire ce petit instant expérimental dans le film'.
Il y a une prise en particulier – il s'agit d'une superposition qui donne l'impression que Kristen est debout au milieu de la route, dans le brouillard. Vous avez le sentiment que c'est un moment lourd et vous vous demandez ce qui va se passer ici.
J'ai l'impression que le truc en entier a simplement engendré de la tension, et pour une raison que j'ai vu, c'est qu'après la scène de conduite, il y avait les nuages – cela a toujours été écrit dans le scénario – mais de toute façon cela nous a amené au passage du nuage d'une manière beaucoup plus intéressante que celle que j'avais imaginé au départ, donc ça s'est fait en quelque sorte dans la salle de montage.
Cela donne aussi un aperçu avec la scène un peu plus loin lorsqu'elles rentrent en voiture chez elles un peu ivres du casino ; c'est un autre élément où vous avez l'impression que quelque chose est en train de se casser. Et puis bien sûr, cela se produit.
Ouais, lorsque Val disparaît, leur relation est presque terminée ; tout le chemin est à peu près fait ; il n'y a presque rien à dire.
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