A l'occasion de la press junket américaine de Personal Shopper, Olivier Assayas parle de Kristen, leur collaboration, le développement du projet et le personnage de Maureen dans une interview avec Interview Magazine.
Personal Shopper n'est pas ce à quoi vous vous attendez de son titre ou de sa bande annonce. Écrit et réalisé par le réalisateur français Olivier Assayas, cela n'est pas un film à propos du monde glamour de la mode, mais, en toile de fonds, il sert de contraste saisissant à la vie personnelle de la protagoniste. Cela n'est pas tout à fait au sujet du surnaturel, non plus, malgré quelques événements étranges. Il s'agit plutôt d'une exploration de la douleur et de l'identité à la suite d'une énorme perte.
Mettant en vedette Kristen Stewart, qui a travaillé auparavant avec Assayas sur Clouds Of Sils Maria, Personal Shopper suit Maureen, une jeune Américaine travaillant à Paris. Il y a un peu plus de trois mois, le frère jumeau de Maureen est décédé et elle essaie de communiquer avec lui depuis. Elle a une vie quelque part – un petit ami qui l'attend – mais elle s'attarde à Paris dans un travail dont elle a le sentiment de n'avoir aucun lien avec, en espérant un signe. 'Maureen est comme une demi personne', dit Assayas lorsque nous le rencontrons à New York, à mi parcours de l'aventure de Personal Shopper dans le festival (il a été présenté en avant première à Cannes et projeté au Festival International du Film de Toronto, au Festival du Film de New York et au Festival du Film de Londres, entre autres). 'Cela n'est pas comme si elle était juste en deuil, elle a perdu la moitié d'elle-même et veut devenir une autre', poursuit-il. 'C'est un processus très solitaire – le processus de deuil est toujours solitaire – et met en question des problématiques qu'elle n'a jamais eu à aborder auparavant. Tout d'un coup, elle est forcée par la vie de se réinventer'.
Journaliste : Quand avez-vous commencé à travailler sur ce film ?
Olivier Assayas : J'ai commencé à travailler sur ce film exactement en novembre 2015. Je revenais de Toronto où j'avais préparé un film qui s'est écroulé. Nous avons perdu notre financement 24 heures avant le tournage, donc je me disais, 'Quel est le prochain mouvement ?'. Je me suis simplement assis et j'ai écrit assez rapidement ce scénario. J'ai commencé à partir de zéro. Habituellement, lorsque j'écris des scénarios, c'est un long processus. C'est couche après couche, je prends des notes, je reviens dessus six mois plus tard, et ainsi de suite. Ici, je voulais faire quelque chose avec l'énergie du moment – le désir que j'avais de filmer et de surmonter la frustration de ce film qui n'avait pas eu lieu. Je l'ai écrit pendant l'hiver de cette année. J'aime commencer à préparer le film dès que je peux parce que vous avez besoin de garder l'énergie en cours. Je déteste écrire et passer des mois à attendre que le film soit financé. Ensuite, lorsque vous commencer à préparer le film et que vous le filmez, vous avez déjà oublié la raison pour laquelle vous avez voulu faire le film en premier lieu. J'aime avoir une sorte d'énergie cohérente qui vous emmène à travers l'écriture, la préparation, le tournage.
Journaliste : Avez-vous commencé par le personnage de Maureen ?
Olivier Assayas : Absolument. Je n'avais rien d'autre que le personnage de Maureen. Il a grandi à partir de là. J'ai été attiré par ce personnage qui faisait partie du prolétariat de l'industrie de la mode et qui a fait un boulot qu'elle n'a pas aimé et qui a trouvé un salut à travers l'imagination, l'art. Il est devenu quelque chose de légèrement différent, mais c'est là qu'il a commencé.
Journaliste : Quand l'idée de Maureen essayant de communiquer avec cet autre monde est-elle apparue ?
Olivier Assayas : J'ai simplement poussé l'idée vers cette ferveur. Tout d'abord, il s'agissait de trouver de la consolation dans l'art et la musique, mais cela ne suffisait pas. Cela ne m'a pas donné assez de fil conducteur. Je voulais faire un film qui traiterait avec ce que nous appelons le paranormal. Je pense que ce qui a inspiré ce film était également ce genre d'humeur. Sauf que je n'étais pas sûr de l'endroit où se trouvait la limite, où était la frontière, et progressivement, j'ai poussé la frontière et réalisé que ce je voulais vraiment était quelqu'un qui trouve la porte d'un autre monde. Cela impliquait, bien sûr, le fantôme et d'autres choses.
Les films sont des explorations ; ils vous emmènent sur un chemin et je pense que c'est toujours mieux si c'est un chemin que vous ne connaissez pas, qui prend des virages et des détours que vous ne pouvez pas prédire. C'est ce qui est amusant à propos des films. C'est ce que amusant à propos des romans. J'aime l'idée de quelque chose qui est enracinée dans le monde matériel, c'est très terre à terre. Nous suivons quelqu'un qui fait ce travail quotidien, très banal, qui transporte des sacs d'un endroit à un autre et qui conduit son scooter. Et peu à peu, cela se transforme en quelqu'un qui est impliqué dans quelque chose d'un peu plus complexe que cela. L'idée d'avoir à la fois quelque chose qui appartient à ce que nous appelons le surnaturel et, en même temps, quelque chose qui est ancré dans le monde réel, je pense que cela donne plus de force à tout ce qui a à voir avec le monde réel et tout ce qui a à voir avec quelconque transcendance du monde matériel.
Journaliste : C'est intéressant que vous ayez choisi de faire de Maureen une acheteuse de mode. Comme vous le dites, ce qu'elle fait est plutôt sans intérêt, mais elle est toujours dans le monde de la mode, qui est quelque chose que nous pensons comme très glamour et absolument pas banal.
Olivier Assayas : C'était intéressant pour moi d'avoir les deux. Je voulais qu'elle s'occupe de quelque chose qui a à voir avec la surface. Il n'y a plus matérialiste que l'industrie de la mode, qui est définie par le fait qu'il aborde la surface. En outre, il n'y a rien de plus aliénant que d'habiller une autre personne – faire un travail qui est littéralement séparé de tout ce qui est de votre intérêt personnel ou individuel. C'est un aspect. De l'autre côté, je voulais que ce soit quelque chose sur laquelle elle puisse être ambivalente, de la même façon que nous sommes ambivalents sur notre relation avec le monde moderne et la façon dont le monde change autour de nous. C'est à la fois effrayant et fascinant, et nous en avons peur, mais en même temps, nous voulons en faire partie. J'étais également intéressée par quelque chose qui pourrait aussi faire partie de son propre questionnement, en essayant de se connecter avec sa propre féminité. Elle n'est plus sûre de la personne qu'elle est.
Journaliste : Avez-vous toujours sur que vous vouliez que Kristen joue Maureen ?
Olivier Assayas : Consciemment ou inconsciemment ? Je l'ai écrit en étant pas certain qu'elle le ferait ; je pensais qu'elle pourrait en avoir peur ou penser que c'est trop bizarre. J'aurais pu le comprendre. Je ne voulais pas admettre que j'étais en train d'écrire pour Kristen parce que je ne voulais pas être déçu. Ensuite, lorsque j'ai fini le scénario, elle était à Paris et nous en avons parlé et elle l'a lu et s'est reliée à lui. Je pense que c'était pour elle depuis le début.
Journaliste : Vous avez dit au Festival du Film de Toronto que Kristen était vraiment une collaboratrice en ce qui concerne la direction. Est-ce quelque chose qui vous est déjà arrivé avec acteur ?
Olivier Assayas : C'est arrivé lorsque j'ai travaillé avec Édgar Ramírez lorsque nous avons fait Carlos. Édgar a beaucoup apporté à l'histoire, parce qu'il était dans chaque prise, tous les jours. Il a porté le fardeau de la relation à Carlos. Carlos est un personnage horrible à bien des égards et je pense que si j'avais affaire à moi-même avec les questions de Carlos, cela m'aurait été insupportable. Édgar a repris cela, par le fait qu'il porte sur ses épaules le poids de Carlos. En ce sens, c'était une collaboration similaire. Je pense que c'était également un peu similaire lorsque j'ai fait Boarding Gate avec Asia Argento, qui est une actrice assez similaire à Kristen à cause de son mélange d'intelligence et d'instinct. Mais encore, je pense que dans Personal Shopper, je l'ai poussé dans un domaine différent. Dans Personal Shopper, il y a essentiellement un personnage qui définit l'émotion dans le film, qui recrée le film de l'intérieur. Quel que soit le film, c'est une création que nous partageons, Kristen et moi-même.
Journaliste : J'ai vu Personal Shopper au Festival International du Film de Toronto et lorsque je suis sortie du cinéma, les gens derrière moi ont parlé de la façon dont ils pensaient que Maureen était dans les limbes tout au long du film.
Olivier Assayas : Bien sûr. Cela n'est pas une mauvaise façon de le voir.
Journaliste : Quelqu'un vous a t-il dit quelque chose à propos de l'un de vos films, pour lequel vous vous êtes dit, 'Oh, je n'ai jamais pensé à cela avant, mais cela a du sens ?'.
Olivier Assayas : Ouais, y compris moi-même dans le sens que parfois lorsque je discute du film, quelque chose sort de ce que je dis. Lorsque je fais des films, je suis très intuitif ; je suis instinctif. Lorsque vous êtes en train de tourner, il y a peu de temps pour réfléchir à propos des idées abstraites, il s'agit de faire les choses, de les faire bien, et d'essayer de canaliser les énergies et d'obtenir le meilleur de ce que vous avez sur votre tournage. C'est seulement une fois que le film est terminé que vous vous dites, 'Ok, essayons de comprendre ce qui s'est passé'. Essayez de comprendre exactement ce que j'ai fait. Je pense que les films sont des expressions de notre imagination : ils sont des expressions de notre conscience et de notre subconscient. Je pense que les films peuvent être analysés de la façon dont les rêves sont analysés, et parfois j'ai le sentiment que les téléspectateurs ou les journalistes avec je discute d'un film sont des psychanalystes qui essaient de donner un sens à mes rêves. [Rires]
Journaliste : Lorsque vous développez un film, que vous faites un film et que vous le montrez aux gens et que vous en discutez, il s'agit d'une sorte de cette entité vivante. Y a t-il un moment où cela n'est plus vivant pour vous ?
Olivier Assayas : Totalement. Je pense que le processus de deuil du film implique de le discuter, de le disséquer et à un moment donné, vous vous ennuyez. Je ne suis pas encore là, mais je sais que je serais là à un moment donné. C'est le moment où je sais que je dois tourner la page et avancer et recharger mes batteries.
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